Ce vendredi, c'était la première fois que j'allais à la mer depuis mon arrivée au Pérou. Nous y sommes allés dans la camionnette de la radio où nous travaillons. Le correspondant de la radio Cutivalú à Sechura, Leoncio, était notre guide. Ma première conversation avec lui, quelques jours avant, lorsqu'il s'agissait d'organiser la journée, me laissa une impression étrange: regard fuyant, voix basse, éteinte. Derrière ses lunettes rondes plusieurs fois reconstruites (on voit la colle dépasser sur le verre), ses yeux sont noirs et regardent toujours trop à droite et trop bas. C'est plus tard que j'ai compris pourquoi. Du temps de la dictature de Fujimori, Leoncio a été enfermé pendant neuf ans et torturé. Il était alors musicien dans un groupe folklorique, je suppose que ça faisait de lui un opposant politique potentiel. Peut-être était-ce un cas classique de répression paranoïaque, ou alors une confusion administrative. L'une des séquelles de son incarcération a été une perte partielle de la vision. On ne sait jamais vraiment si Leoncio voit, imagine ou se souvient. Bien qu'il soit tout à fait capable de s'orienter, les gens qui lui coupent la route et les changements dans l'environnement (travaux dans la rue, etc.) le déstabilisent. C'est par l'écoute qu'il se situe. Je ne suis pas surpris lorsque Lucho me dit qu'il est l'un des meilleurs correspondants de la radio.
La route entre Piura et la côte traverse le désert de Sechura. Après quelques minutes de route à l'extérieur de Piura, ce sont d'abord des cultures irriguées, des rizières et des champs de maïs séparés par de longues rangées de cocotiers. Après Catacaos, à 10 minutes de Piura, commence le désert proprement dit, qui deviendra de plus en plus sec jusqu'à la côte, une heure plus loin. La terre des champs en bordure de la route pâlit de plus en plus, comme si elle dégorgeait du sel. Peu après, la végétation disparaît presque entièrement et le paysage devient légèrement plus accidenté: la route perce par endroits des buttes de terre blanche, crayeuse, faite de sable et de coquillages broyés. Nous traversons des villages desséchés qui me rappellent le nord du Mexique, des édifices de béton et de temps à autre des ánimas, les petits autels construits sur les bord des routes là où quelqu'un est mort.
Le dernier tronçon de route, celui qui nous mène à l'océan Pacifique, passe par une plaine vide et balayée par le vent. Nous passons deux ou trois usines de transformation, où l'on extrait l'huile du hareng pour ensuite le réduire en farine destinée à l'alimentation animale. Le tout est exporté en Chine. Puis, ce sont quelques chalutiers en cale sèche, supportés par un assemblage de madriers et hérissés de mâts qui au loin les font ressembler à des insectes gigantesques et multicolores. Il pleut un peu... des goélands apparaissent à l'horizon, puis l'océan!
Des dizaines de bateaux de pêche sont rassemblés autour du môle du port de pêche Las Delicias. Malgré le ciel gris et la bruine, je suis transporté par le bruit des vagues, par le vide qui nous entoure: presque personne, les bateaux ancrés, de chaque côté une longue plage vide de gens et de constructions. Nous avons rendez-vous avec un pêcheur ami de Leoncio qui nous emmène dans une petite barque en bois, dont la peinture bleue s'écaille par endroits. Elle semble se trouver à mi-chemin entre l'artificiel et le naturel, le bois cassé et tendre qu'on trouve sur les plages.
C'est l'anniversaire de Julie Sabourault aujourd'hui, et on chante bonne fête en français et en espagnol, au son de la guitare de Leoncio, alors que déjà on ne voit presque plus la côte. Nous laissons peu à peu les oiseaux derrière, mouettes, goélands, pélicans, ils préfèrent rester près des chalutiers, leur fidèle source d'alimentation facile.
La mer, d'abord presque plane, devient un paysage légèrement ondulé. Nous croisons des bouées qui marquent des cultures de coquillages en croissance. Une entreprise pétrolière, Petrotech, veut forer ici, ce qui préoccupe grandement les pêcheurs de la région, qui ont patiemment semé ces coquillages sur des kilomètres. Plus loin, des bateaux couverts d'une bâche, dépourvus de moteur, où vivent des gens comme dans une maison. Encore plus loin: de simples radeaux, assemblages de quelques troncs de balsa, d'un mât orné d'un drapeau. Un pêcheur à la ligne y passe la journée, avec un seau pour le poisson et un peu d'eau douce.
Au retour, rien qui soit digne de mention, mis à part un oiseau qui a décidé de me chier sur la tête et une bonne partie de la chemise. C'est arrivé tandis que nous passion tout près d'un grand bateau, une sorte d'usine de transformation flottante. Par un tuyau coulait une sorte de bouillie fétide qui attirait un véritable essaim d'oiseaux s'en nourrissant sans arrêter, ne s'arrêtant que le temps d'une diarrhée vite conclue en vol. Aux dires du pêcheur qui nous guidait et a aimablement lavé ma chemise à l'eau de mer, ces oiseaux évacuent de la sorte le trop-plein d'huile que contient cette bouillie qui par ailleurs leur semble très appétissante. J'ai donc fait le reste du tour de bateau torse nu, grelottant un peu à cause du vent, et aussitôt arrivé au port je me suis lavé les cheveux avec du savon à plancher qui m'a laissé le cuir chevelu rouge et endolori, mais propre!
samedi 13 juin 2009
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire