dimanche 17 janvier 2010

La photo et le moment

J’aime bien dire des évidences. Je les trouve jolies dans leur simplicité. Elles ne signifient rien de plus que ce qu’elles disent, et c’est déjà beaucoup. « J’ai besoin des autres pour changer, pour vivre », « il fait beau lorsque je suis heureux » sont deux évidences qui reviennent dans mon esprit aujourd’hui. Le manque de sommeil et le café ne m’aident certainement pas à penser lucidement, mais j’aime cet état où pour une fois, ce ne sont pas des mots ni des horaires qui surgissent, mais des images, des souvenirs, des pensées confuses sur qui je suis et où je vais.

J’ai besoin de recommencer à être créatif – à assumer ma créativité. La nuit blanche que je viens de passer m’a rappelé la nécessité de rechercher sans cesse des nouveaux chemins, de s’ouvrir à des bonheurs et des chocs, mais aussi de permettre à ces petits éclairs d’extraordinaire de se manifester. J’ai le goût de me remettre à la photo, l’un des meilleurs moyens que je connaisse d’ouvrir une faille dans le déroulement du quotidien. L’objectif de mon vieux 35mm Minolta était comme une cabane où mon œil se cachait pour regarder le monde, en sécurité et un peu rieur d’avoir tiré la normalité par la queue. Cette envie renouvelée, je la dois à certains de mes amis qui récemment m’ont inspiré par leurs photos magnifiques d’endroits mille fois traversés mais rarement regardés. Le métro que je prends tous les jours, en flou noir et blanc, retrouvait tout le mystère d’un départ pour une destination inconnue. Un portrait d’une jeune fille d’origine haïtienne, baigné dans une lumière laiteuse, me parle d’amour, de silence. Roland Barthes parlait de la photo comme d’une évocation de la mort; on pourrait dire aussi de la vie éternelle, d’une vie qui traîne la patte sans vouloir s’éteindre tout à fait, longtemps après.

Le vécu quotidien se transforme en une histoire. Les faits se mêlent avec l’invention, l’un et l’autre jouent ensemble, comme lorsqu’un enfant raconte sa journée. Chaque photo est comme une intersection, une piste d’où une vie autre aurait pu commencer. J’ai été dans cette photo, j’y suis encore, j’y aurais été; peut-être que tu y étais, peut-être que maintenant tu y es. J’aime cet alignement d’une multitude d’histoires dans un cliché, comme tout ce qui me donne l’impression d’ « être avec », de participer à l’existence de quelqu’un d’autre. Comme sans doute chacun de nous, je ne suis jamais arrivé à comprendre que chaque individu soit entièrement contenu en lui-même. Je voudrais ressentir à travers toi, et à travers toi, regarder passer cette autre partie de nous qui est moi, comme une comète dans un nous infini.

La routine

C’est surtout pour tenter de m’en guérir, mais peut-être aussi pour la comprendre que je tente une nouvelle fois d’écrire régulièrement dans mon blog. Régulièrement… bon, ça commence bien.

J’ai ressenti ces derniers jours un sentiment d’urgence et d’instabilité que je n’avais pas ressenti depuis trop longtemps. Le sentiment de « passer à côté », de m’encroûter, de ne pas participer du monde qui m’entoure. J’en parlerai peut-être une autre fois, mais je crois que ce sentiment m’anime depuis l’adolescence, alors que déjà je me sentais « vieux », échoué hors de l’enfance, contraint de lutter continuellement pour faire de chaque jour un petit monde nouveau plutôt qu’une étape négligeable du grand projet de devenir adulte.

Lorsque je pense au mot « routine », je vois l’image d’un lièvre qui repasse sans cesse dans les mêmes sentiers, que lui-même crée et maintient par la simple action de les emprunter. On pense aux animaux comme des êtres libres; même les oiseaux migrateurs ne font rien d’autre que circuler dans une géographie rétrécie, terriers, tunnels, couloirs migratoires.

Je pense à une sorte de film d’abord ténu, presque imperceptible, comme la démarcation entre l’huile et l’eau. Puis, avec le temps, ça s’apparente davantage à une pellicule plastique qui m’enserre dans un parcours figé. Ce film, posé sur des visages familiers, en fait des inconnus.

Cette barrière peut devenir si dure que l’on se croit dans un jeu vidéo, pleins de portes qui ne s’ouvrent pas, de murs ornés d’un papier peint au motif « forêt » et de visages qui ne disent rien. Moi aussi, je suis un visage qui ne dit rien.

Je ne sais pas comment lutter contre la routine, comment tracer sans cesse des chemins de traverse – au risque permanent de les voir se transformer en tunnels silencieux et solitaires. Je me dis qu’il ne s’agit que de se laisser changer par les autres, de voyager, d’aimer. Ce n’est pas facile. J’ai besoin de tout mon temps libre pour me rappeler que oui, peut-être, je suis libre.

jeudi 13 août 2009

Nouvelle phase: 4 québécois en voyage à Trujillo

La rupture avec nos trois mois en famille d'accueil ne pouvait être plus radicale: après une nuit blanche dans l'autobus, nous arrivons dans notre hôtel de Huanchaco, un balnéraire de plage près de Trujillo, métropole du désert côtier, complètement déserté en hors-saison. Il fait froid et gris, à 6 heures du matin les rues sont vides, mis à part quelques traîneux qui vident les poubelles. À notre arrivée à la station d'autobus, les taxistas s'étaient agglutinés autour de nous comme des mouches, ce qui laissait présager comment serait le sud, plus touristique.

La rupture a pris la forme de très réconfortantes crêpes cuisinées dans notre auberge, accompagnées du très québécois sirop d'érable. C'est à ce moment que je me rends compte que la radio à Piura, c'est fini. Nous sommes entre nous, à l'aventure à travers le Pérou. Je ne suis plus l'accompagnateur qui organise, mais un voyageur comme les autres, bien content de passer le flambeau à Denis et Julie, qui disposent du Lonely Planet qui guidera nos vies.

Nous arrivons la journée anniversaire de la mort du fondateur de l'APRA (Alianza para el Progreso), le parti du président Alán García. Sur la place d'armes s'aligne une centaines de voitures de police offertes au département pour souligner l'événement. Les militaires et les policiers grouillent dans les centre-ville, avec les curieux et les passants.

La journée suivante, nous allons visiter le site archéologique de Chan Chan, qui fut il y a plus de mille ans la plus grande ville en adobe (briques séchées faites de terre et de paille) au monde, avec plus de 60 000 habitants. Ce matériau très fragile n'a pas résisté au temps et aux pluies cycliques d'El Niño, qui ont rongé et dissous l'ensemble du site, énorme. On voit encore des murailles transformées en buttes, des terrasses, des rues. Une partie du site a été restaurée et ouverte aux visiteurs.

Dans cette section, on traverse des murailles et des murs d'enceintes monumentaux, ornés de frises représentant des animaux terrestres et marins, des places rituelles, des couloirs labyrinthiques. Le travail de restauration, quoique admirable, me laisse perplexe sur notre capacité à faire revivre une civilisation disparue en laissant peu de traces... Je me sens partie d'un décor de film à saveur égyptienne, avec tout cet ocre et des murailles épaisses et sèches, où l'on reconnaît des briques moulées en usine et du béton on ne peut plus modernes.

Nous visitons ensuite le site de la Huaca (tombe, site archéologique) del Sol, une pyramide également construite en aqdobe, des dizaines de millions de briques d'adobe superposées en couches suivant les générations de prêtres régnants. Sur ces briques ont été retrouvés différents symboles que certains archéologues ont interprété comme des marques tribales: une telle construction, pour voir le jour, aurait nécessité l'apport de différentes communautés qui ont ainsi voulu signifier l'importance de leur apport au temple commun.

Il reste les vestiges d'une muraille haute de 6 mètres, conçue non pas pour repousser les ennemis, mais pour faire barrage aux vents chargés de sable. La nature est rude ici, et je ne m'étonne pas que la pyradmide ait été construite au flanc d'une montagne aux côtés de laquelle elle semble minuscule: humilité face à la nature qui peut tuer par des pluies torrentielles et des sécheresses, ce qui justifie bien que l'on sacrifie quelques humains pour l'apaiser.

Départ de Piura et début du voyage

Le premier août a été une journée chargée. Adieux à nos familles, adieux aux deux filles de notre équipe qui revenaient au Canada... certains ont pleuré plus que d'autres. Quant á moi, comme toujours, j'ai pleuré peu, et tard. Ce n'est que lorsque les gens auxquels je tiens sont vraiment et irrémédiablement partis que la réalité me rentre dedans. Alors que les autres sèchent déjà leurs larmes, Nicolas se penche un peu, le ventre serré, et pense au passé.

Trois mois avec Jessica, Belia, Diego, Tito, Peto, Bruno, César, Camila, Jhon, Lucho, Kike et tant d'autres.

Les sacs sont lourds tandis que nous les chargeons dans l'autobus en direction de Trujillo. Ce sera un voyage nocturne et sans histoire.

mercredi 22 juillet 2009

Colombia: el único riesgo es que te quieras quedar

Hace tiempo ya que tengo la idea de ir a conocer Colombia, un país que me fascina desde años, desde que conocí a la obra de Gabriel García Márquez, o todavía más allá en el pasado, cuando pequeño veía la bolsita de café con esa imagen muy conocida, el cafetero con su burro que indica que el café viene de Colombia. Como ese café, que casi nunca tomo porque me duele las articulaciones y me torna nervioso, veía Colombia como algo ajeno, demasiado lejos, algo para los otros, los grandes que beben café. Una suerte de corazón escondido, inalcanzable de América latina.

Hace un poco más de un año, conocí a dos chicas que nacieron allá, en una ciudad que todos dicen muy bonita, en las montañas. Allá se cultiva café y muchas otras cosas, se habla de usted hasta con los amigos y la familia, se usan jergas que no entiendo. Fue una casi-casualidad. Por dos días las hospedé en mi departamiento mientras buscaban el suyo propio en Montreal.

Me acuerdo de detalles estúpidos de una de ellas. El color de su cinturón, cuál teléfono celular tenía, las primeras palabras que dijo. Siempre es difícil dar una vuelta atrás en mis recuerdos sin encontrarlos diferentes, más claros y llenos de significado que lo sucedido. Los recuerdos son como metal en polvo cuando uno le acerca un imán: primero desordenados, caóticos, para luego organizarse en esas lineas bien claras que son nuestra vida. Pero esta vez fue una de las pocas veces que sí me sentí totalmente presente, grabando en mi memoria los pequeños momentos con ella, atento, como un niño que quiere impresionar.

Durante meses, estuve hablando con ella, viéndola cuando podía, buscándola en la Red. Aprendí poco de ella, talvez por buscar demasiado. Desde el inicio, nuestra forma de ser juntos fue conflictiva, y ahora, viendo todo eso desde otro lugar, me parece que fue culpa mía. ¿Cuántas veces la regañé por no hablar bastante conmigo, por ignorarme? Como si estuviera exigiendo eso de mis amigos... no, me bastan sus presencias a mi lado, compañeros de camino. No hubiera debido pedir más que lo que me daba, más bien estar feliz por cada pequeño regalo que era estar con ella. Mi fascinación por ella, entonces, se había transformado en amor. Creo que así se le llama al acto de pensar mucho en alguién cuando pocos hechos concretos justifican tal interés, que sean actividades, conversaciones, recuerdos en común.

Estaba corriendo atrás de un sueño que yo mismo había creado, con mi propia soledad. No que ella fuera una persona culquiera cuando uno la mira con objetividad, si tal cosa se puede con sere humanos. Sé que nunca olvidaré su mirada, su voz tranquila, su forma de ser tan fascinante, tan distante de la mía. Talvez que esa amistad, por no ser equilibrada, por esconder más por mi parte, no era viable, no era sincera.

Ahora no hablaremos más. Por primera vez de mi vida, decidí acabar con formalidad y tratando de explicarlo lo mejor que podía una amistad que me hacía sufrir. De ahora adelante, no sé más adonde iré; mi vida volvió a ser un caos a veces terrible, a veces maravilloso, de pequeños recuerdos, momentos buenos y malos. Por algún tiempo, sé que los seguiré viviendo pensando en alguién, sin querer admitirlo. Espero que la vida siga cambiándome, llevándome a lugares y personas desconocidos, a sentimientos tan fuertes que por alñgún tiempo serán como mundos enteros en mí. También espero, y sé que talvez no lo debería, ver a esa chica cuando puedamos ambos medir y aceptar toda la distancia, llena de misterios y de descubrimientos, que hay entre nosotros.

En diciembre, me voy a Colombia, por lo menos un mes. Iré solo, a visitar algunos amigos que no ví desde años. Por cierto, será muy diferente de todo lo que me imaginé. ¡A ver si me quedo!

mardi 21 juillet 2009

La santé passe par l'estomac

Depuis une semaine, je suis un aficionado d'une des cliniques privées de Piura - de fait, un hôpital en bonne et due forme. L'hôpital public, bâtiment vaguement stalininen qui me fait penser à certains édifices vus à Bamako, Mali, accueille des malades pour toute la région de Piura, soit quelques 7 millions d'habitants. On m'a déconseillé de m'y rendre en cas d'ennui de santé avec un stagiaire, conseil que l'abondance de compagnies de pompes funèbres à proximité semble corroborer.

La clinique San Miguel, quant à elle, ressemble en tout point à un centre de santé québécois, si ce n'est qu'il n'y a aucune revue, d'aussi bas niveau qu'elle soit, ni quoi que ce soit à lire, mis à part quelques dépliants d'information sur la (foutue) grippe porcine. Cependant, une télévision n'est jamais bien loin, diffusant en continu des téléséries péruviennes, le son coupé, ce qui ne gêne absolument pas la compréhension tant le jeu des acteurs est transparent. Tous est peint en couleurs pastel et carrelé avec goût, avec cette petite touche qui me fait croire que pas mal d'argent - et de nombreux visages pâles - passent par ici.

Étrangement, cette clinique est devenue une sorte d'espace en marge, où j'accompagne les stagiaires qui en ont besoin pour voir un médecin. Des diagnostics, des "ouvre la bouche", des sérums intraveineux et des injections, j'ai tout vu ça dans les derniers jours. Des échantillons fécaux et sanguins, des heures passées assis, puis couché en attendant le médecin, bientôt délogé pour faire place à une femme sur le point d'accoucher. Des cris, des paroles lancées ou encore délivrées au compte-goutte administratif.

Je me trouve drôlement chanceux de ne pas être malade! Un gros merci à monestomac pour tenir fidèlement le coup!

dimanche 19 juillet 2009

Piura et la grippe porcine

Ça ne m'a pas pris longtemps, à mon arrivée au Pérou, pour comprendre que l'usine à nouvelles mondiale, le Zeitgeist de l'an 2009, la grippe porcine, allait faire partie du paysage durant tout mon séjour. Dès mon arrivée à l'aéroport de Lima, un matin de garúa (le brouillard côtier qui recouvre Lima durant les mois d'hiver), une équipe d'infirmières attendait les passagers avec des messages par interphone les priant de se rapporter en cas de symptêmes de grippe et des dépliants informatifs. C'était au début de cette histoire, lorsque grippe porcine rimait encore avec Mexique, États-Unis et Canada, et que l'on pouvait encore l'imaginer confinée dans ce coin du monde. À côté de la question classique que les Péruviens font aux étrangers (as-tu goûté au ceviche?), se trouvait une autre plus inquiète: as-tu la grippe?

Depuis, les nouvelles se sont succédées dans les journaux, que je lis presque tous les jours. Le premier cas confirmé à Lima, une Argentine de passage. Les premiers cas de Péruviens et leur multiplication. Dans les périodiques locaux de Piura, on a longtemps parlé de la préparation sanitaire de la ville en cas de propagation du virus. Les entreprises de transport en faisaient-elles assez pour éviter que quelque limeño se ramène avec une petite toux suspecte et contagieuse?

Les statistiques à ce sujet me dégoûtent un peu, parce qu'elles manquent complètement de valeur informative et d'objectivité. Mais elles sont écrite en rouge vif sur les premières pages ces temps-ci, alors les voilà: nombres de personnes infectées au Pérou: près de 1300. Morts: une dizaine. (Note: chaque année, la grippe saisonnière, commune, tue près de 200 personnes au Pérou).

La grippe est maintenant ici. Alors qu'on n'en parle presque plus au Canada, ici cela semble avoir encore le vernis de la nouveauté. Dans les services publics, les banques, les restaurants et évidemment les pharmacies, on nous sert derrière un masque. Dans les commerces, ces masques que tout le monde connaît pour les avoir vu à la télévision sont introuvables.

Je suis très serein et pas du tout inquiété par cette histoire. Je crois que cette peur est un mélange bien précis d'informations partielles et de volonté du gouvernement d'offrir une réponse visible bien que d'une efficacité douteuse. Je vois comme dans un film cette peur évoluer et, bientôt j'espère, se diluer jusqu'à disparaître dans une autre plus menaçante, le terrorisme ou une autre maladie transmissible par CNN.

mercredi 15 juillet 2009

Verwüstung der Seele

A alma desertada, feita deserto. Lei isso num jornal alemão: o artículo era sobre as vítimas de tortura. Assim explicavam seu estado aos psicólogos que os tratavam. A alma desertada, quando fugiu uma parte de si. Escondida, ou simplesmente nalgum lugar melhor, aonde tenho que ir procurá-la. É um estado esvaziado e leve, quando a vida, a pessoa que sou, se tornou tão pesada que o único possível foi deixa-la ir.

Não preciso fazer sentido nem dizer perfeitamente o que eu sinto. O importante é que nesse deserto que abriu o amor – mais bem a minha solidão -, eu possa seguir caminhando. É um deserto que não deixa você sair se não for, já, uma pessoa diferente.

mardi 14 juillet 2009

Un trou dans le calendrier

Aujourd'hui: rallongé mon séjour en Suramérica. Je resterai plus d'un mois et demi sans rien d'autre à faire que voyager, en compagnie de certains de mes collègues de stage.

J'aime l'impression de liberté que donne l'idée de rester en-dehors du sentier battu encore quelque temps. Comme l'école buissonnière quand on était petits... la vérité, c'est que maintenant, il faut payer et aller loin pour retrouver cette sensation. Cette fois, le buisson se nomme Pérou et Bolivie, et il promet d'être rempli d'aventures.

L'université, les cours, le travail, l'appartement, Montréal, les projets divers, les amitiés et les amours du Québec, ça sera pour plus tard.

Étrangement, ce voyage arrive à un point de ma vie où je me questionne beaucoup, un peu comme quand on a 16 ans et que la carte de ce qui sera notre vie se dessine peu à peu, ou plutôt: qu'on s'épuise, qu'on se tourmente à la dessiner nous-mêmes, avec nos crayons, à notre manière. Il me semble que 23 ans, c'est fait pour voyager, connaître ce que cache cette carte qu'on se trace. Un peu le début d'être vieux, le travail, les études qui finissent, les projets et tous ces amis qui deviennent adultes et se marient, le temps d'ouvrir le temps, de faire un grand trou dans le calendrier pour voir un peu de la beauté, de l'amour et de la richesse du monde.

lundi 13 juillet 2009

Un nouveau seuil de la douleur

Hier, je suis allé á Máncora. 4 heures de route de Piura à travers le désert, Grand Canyon-style, 9 000-quelques habitants, du soleil et de la plage à profusion. Ce fut agréable et reposant.

Ce dont je me souviendrai encore dans quelques années cependant, c'est d'avoir été piqué par une raie. Ces poissons plats qui se couchent au fond de l'eau, camouflés en sable, attendant on ne sait quoi. J'ai sûrement marché sur la bestiole par inadvertance... le problème, c'est qu'à la différence des coquerelles, des poissons ordinaires et de la majorité des bestioles rampantes ou nageantes, celle-ci ne se tasse pas du chemin quand un homo sapiens arrive.

Je crois bien que ce fut la chose la plus douloureuse de ma vie, jusqu'à présent. Je peux pourtant compter sur l'expérience non négligeable d'une piqûre de scorpion en Afrique... La douleur est montée dans la jambe depuis le pied, jusqu'à me rendre nauséeux, et j'ai bien dû taper du pied comme un con en sacrant pendant une heure pour l'éloigner. J'ai pourtant eu de la chance: le venin des raies de plus grande taille est assez fort pour provoquer de la fièvre et des vomissements.

Tout ça pour dire qu'un dimanche de plage, par ailleurs sans histoire hormis le traditionnel coup de soleil dans le racoin où la crème solaire ne s'est pas rendue, m'a permis de fixer un nouveau seuil à l'idée que je me fais de la douleur physique (le seuil de la douleur émotionnelle est rendu pas mal plus loin, mais c'est hors de question que j'en parle ici!).

Lorsque la douleur s'est calmée, je me suis rendu compte que j'avais faim. Taper du pied m'avait creusé l'appétit. J'ai demandé au serveur du restaurant s'il y avait de la raie dans le menu, histoire de me venger un peu... No señor. Je me suis rabattu sur les crevettes, charognards innocents, en tapant légèrement du pied.

Chiclayo - le marché des sorciers

D'un certain point de vue, Chiclayo est comme le vieux Hull (clin d'oeil aux Outaouaïens): plein, plein de fils électriques dans les rues, avec les poteaux assortissants sortis d'il y a vingt ans, alors que de chaque côté de la rue s'élève depuis un bail des édifices de 3 ou 4 étages. Avec la multitude d'affiches, de posters et de gens qui vendent n'importe quoi dans la rue et de passants qui vaquent à leurs occupations, on a l'impression d'un joli chaos. Tout à l'air moderne, c'est à dire construit récemment, ou construit selon l'esthétique moderniste, ce qui est moins flatteur. Un hôtel pourra ainsi être recouvert de losanges violets et parsemé de fenêtres ovales, tout cela sans honte, voire même se nommer Abu Dhabi ou Pharaon.

À première vue, l'idée que Chiclayo abrite le marché de sorcellerie le plus conu du Pérou semble donc étrange. On se dit que business du 21e siècle et architecture du 20e font mauvais ménage avec des croyances ancestrales, transmises de père en fils... Mais au contraire, c'est plein de sens. La sorcellerie, après tout, ce n'est pas juste transformer les gens en animaux ou faire ingurgiter des parties obscures desdits animaux auxdites gens... c'est une activité économique, un échange fascinant entre un savoir mélangé d'esbrouffe et de charlatanisme, et un besoin aussi pressant qu'il est immémorial: la queue qui ne lève pas ou trop, la toux, les douleurs, la tristesse, l'incompréhension du monde et de soi-même, etc.

Le marché des sorciers, donc, consiste en une subdivision du marché de Chiclayo, cet éternel carré de chaos planté dans toutes les villes péruviennes (ou du monde extra-occidental-développé, d'après ce que j'ai vu jusqu'à présent dans ma vie). On est d'abord passés tout droit, vue l'énormité du marché en soi, avec ses allées interminables de matériel de cuisine, de vêtements, de légumes, sa cafétéria gigantesque parsemée de flaques à l'odeur marine. Après avoir fait le tour d'un parc complètement envahi par les vendeurs ambulants, qui me faisaient penser aux écureuils du parc Lafontaine par leur nombre et leur voracité, avoir évité les vendeurs de DVD et contemplé des mannequins à moitié démolis qui exhibent tristement une pièce de vêtement made in Lima, avoir traversé un mur presque solide de cumbia sécrétée par des hauts-parleurs aussi extatiques que les quelques danseurs du marché étaient amorphes, avoir supporté des sifflements continuels de quelques piliers de bar, on arrive au marché des sorciers.

C'est l'odeur qui frappe. Des épices qu'on n'a pas senties depuis longtemps (les Péruviens ne cuisinent pratiquement qu'au sel), des effluves piquantes, sucrées, d'autres qui font tourner la tête. Les étalages vendent un amoncellement d'objets étranges. Pour n'en nommer que quelques-uns:

Des poupées style vaudou, qui témoignent à mon avis d'une contamination culturelle, puisque d'après mes infos la spiritualité péruvienne qui sous-tend les sorciers d'ici ne comporte pas cette croyance que l'on peut "recréer" l'esprit et le corps d'une personne dans un objet.
Des thés et des herbes pour guérir: la toux, l'impuissance, les problèmes amoureux, les calculs biliaires ou rénaux, le diabète, l'hypertension, le rhume, le cancer, le surplus de poids, etc.
Des bâtons de tabac à chiquer ou fumer, qui ressemblent à des saucisses pendues devant les étals.
Des herbes médicinales fraîches, pour ceux qui savent les préparer.
Des armes blanches, des aimants et de la poudre de fer, pour certains rituels chamaniques.
Des animaux sculptés pour représenter un mal à guérir.
Des fioles de potions censées stimuler l'attraction de l'être aimé envers soi, ou la décourager lorsqu'on est l'objet irrité d'une telle attraction.
Des objets artisanaux divers, plus ou moins dotés d'une signification précise dans le monde de la sorcellerie. Certains ont un trou dans lequel on souffle pour émettre des notes de musique.
Des ossements et peaux d'animaux et des racines diverses issus des trois mondes du Pérou: la côte désertique, les sommets andins et la forêt amazonienne.

Un homme nous explique la méthode de fabrication d'une sorte de jus hallucinogène fait de tiges de cactus de San Pedro bouillies. Il est fils et petit-fils de sorcier, mais surtout très bon à vendre sa salade, alors on achète. On essaiera ça sur une plage... L'utilité de ce liquide, lors des rituels chamaniques, est d'ouvrir la conscience et permettre de communiquer avec les morts, voir le passé ou le futur ou encore visualiser un problème ou un mauvais esprit pour mieux l'affronter. Dès l'époque des Incas, voire pré-inca, les propriétés de ce cactus étaient connues et exploitées lors de cérémonies religieuses.

Je reste immobile quelques instants devant un homme et son espèce d'étal ambulant. Sous le parasol qui coiffe le tout, un petit macaque qui fait toujours le même geste entêtant de va-et-vient de côté. Je ne comprends pas ce qu'il vend ou quel service il rend. Il est là, au milieu d'une allée passante, avec son petit macaque.

Rock Me Sexy Jesus

L'autre jour, dans mon observatoire touristique préféré, la combi, j'ai été témoin d'un spectacle pas mal comique. Je vois un type assez grand, vêtu d'une longue robe bleue à la Moïse. Je pense tout d'abord que c'est un touriste d'Amérique, de la sous-espèce hippie à barbe.

Je demande à la ronde, et on me dit: c'est un pèlerin. Le type marche à travers la ville, habillé comme au temps de Jésus, le regard absent. À bien y regarder, il est bien Péruvien, mais plus grand que la moyenne et maigre. Il ne manquerait que la croix à traîner... mais le type n'a rien d'autre que ses vêtements.

Sa destination: Ayabaca. Cette petite ville se trouve dans les montagnes, à 7 heures de route de Piura. Elle est connue parce que là-bas aurait eu lieu un miracle: la création spontanée, dans un bloc de pierre, d'une statue du Christ au moment de son emprisonnement, avant son jugement et sa mort. Partout dans le nord du Pérou, on voit des images du "Señor Cautivo": sur les mototaxis, les murs, en miniature au cou ou au poignet...

Des gens de partout au Pérou viennent visiter cette ville pour rendre hommage au Seigneur Captif. Certains - comme ce Jésus croisé par hasard - le font à pied. Des centaines de kilomètres, des semaines de marche dans le désert puis la plaine sèche. Les plus fervents font même les derniers kilomètre à genoux! Même si le Pérou se modernise, certaines traditions et la religion demeurent présents lorsqu'on gratte un peu... surtout lorsqu'on n'est que de passage dans le centre de la ville.

lundi 6 juillet 2009

Pipi

Dix minutes de route, en combi, suffisent pour beaucoup de choses.
Les fumeurs auront le temps de commencer et de terminer leur cigarette.
Les mangeurs de sandwich, de manger leur sandwich.
Les liseurs, de lire.
Etc, etc.
Un gringo, regard vif, se délectera cependant du spectacle riant de multiples happenings artistiques; si Marcel Duchamp a fait de l'urinoir une oeuvre d'art en le faisant entrer au musée, un Péruvien beaucoup plus au ras des pâquerettes revendique fièrement l'acte de la miction comme oeuvre éphémère, extra-muro ou sur-le-muro.
L'un se plantera fièrement dans une courbe d'une route de montagne: les voitures et les combis, en ralentissant, contempleront donc d'autant plus longuement son membre et son jet que l'état de leur arbre de direction est mauvais.
Des jeunes enfants bloqueront ailleurs la route avec un filet de volleyball (c'est comme cela que le Pérou est devenu un joueur majeur dans les compétitions de volley!), ce qui forcera la combi à s'arrêter, le temps de retirer le filet. Un jeune garçon en profitera pour s'épancher la vessie.
Descendre de la combi, c'est poursuivre l'aventure par d'autres moyens: un Péruvien ne s'effraie pas plus des regards à pied que de ceux qui roulent.
Au détour d'une fête de quartier, la nuit: des jeunes qui pissent, et pour cela affectionnent les pare-chocs de voitures. En effet, seuls les plus habitués peuvent se passer d'un objet, mur, voiture ou arbre, à arroser (voir plus haut).
Il est interdit d'uriner en public au Pérou. Selon la lettre de la loi, l'amende pour une offense mineure (uriner sur un mur, dos aux spectateurs éventuels) est de 200 soles.
La bière la moins chère se vend en bouteilles de 2,5 soles chacune.
La consommation d'alccol et l'ébriété sur la voie publique sont permises.

Politique péruvienne 101

La politique au Pérou vit sous le signe de la conflictualité. Récemment, une série de décrets du Congrès, visant à ouvrir de larges pans de l'Amazonie péruvienne à l'exploitation pétrolifère, gazière et agricole, se sont terminé en bain de sang dans la localité de Bagua. Des indigènes, venus défendre l'intégrité de leurs terres ancestrales, se sont heurtés aux forces de l'ordre et à l'armée venue déloger les protestataires de la route que les premiers bloquaient depuis des semaines, privant la ville de ravitaillement. Le chiffre des morts, oscillant entre 30 et plus de cent, a fait écho à travers la planète, mais pas assez encore pour sensibiliser l'opinion mondiale au sort de la forêt amazonienne et de ceux qui l'occupent sans dommages depuis des millénaires.

La ministre de l'Intérieur, Mercedes Cabanilla, a accusé tour à tour le président de Asociación Interétnica de Desarrollo de los Pueblos amazónicos, Fernando Pizango, des intérêts étrangers, dont ceux du Venezuela, et les indigènes eux-mêmes. Demain, une grève générale pan-péruvienne aura lieu. On s'attend à ce que le transport urbain et interurbain soient perturbés. Mme. Cabanillas a annoncé qu'elle envisageait d'envoyer l'armée en renfort à la police, comme à Bagua. Qui a dit que les femmes en politique étaient plus réfléchies?

S'ADRESSER À LA POPULATION, OU: QUI HURLERA LE PLUS FORT?

Un tour de voiture dans n'importe quelle ville ou village péruviens réserve une surprise au visiteur gringo. Sur le moindre mur offrant des conditions de visibilité acceptables, surtout en bordure des routes principales, on trouve des slogans de partis politiques et de candidats écrits tellement gros que l'on suppose tous les Péruviens bigleux. En voici quelques-uns.

Keiko presidente, Fujimori inocente: Fuerza 2011. Keiko est la fille de l'ancien président maintenant emprisonné pour une tuerie qu'il aurait commandée dans le cadre de la lutte contre le Sentier Lumineux. De facto dictateur, il a dissous le Parlement pour se faire réélire, avant de fuir un scandale d'espionnage et de corruption et de se réfugier au Japon, pour être emprisonné alors qu'il visitait le Chili. Une bonne partie de la population du Pérou juge que son règne, par sa dureté et ses valeurs conservatrices, en plus de la bonne posture économique du Pérou durant ce temps, a été somme toute positif.

Ollanta Humala, la voz del pueblo. Chef du parti nationaliste, le second en force au Congrès, on l'accuse d'être un pantin de la révolution bolivarienne du président Chávez du Venezuela.

Note sur les deux précédents: Mario Vargas Llosa, le célèbre écrivain péruvien, a dit de que choisir de voter pour Keiko ou Ollanta Humala était comme choisir entre le sida ou le cancer au stade terminal.

Con Alan, el Perú avanza. Alán García est le président actuel. Plutôt néolibéral, pas mal plus à droite qu'on aurait cru. À grands renforts de publicités dans les journaux, il annonce que la pauvreté recule dans son pays. Au yeux d'un statisticien, c'est vrai. Pour prendre un exemple cher aux Péruviens, si le Pérou produit aujourd'hui deux poulets au lieu d'un seul hier, qui dirait qu'il ne s'est pas enrichi? Mais la question à poser est plutôt: "qui mange les deux poulets?" Le Pérou demeure l'un des pays dont la distribution des richesses est la plus inégalitaire, même en Amérique du Sud ou l'écart entre riches et pauvres est notoirement énorme.

JOURNAUX À VENDRE

Autre choc pour le gringo, cette fois lecteur: le nombre d'annonces, de communiqués et de messages publiés dans les journaux à grand tirage par des entreprises, le gouvernement, des partis politiques ou des syndicats, pour attaquer un adversaire, démentir des faits ou des allégations, convaincre le lecteur du bien-fondé d'un projet, ternir la réputation d'un ennemi politique ou laver la sienne propre. Par exemple, une entreprise minière se paiera deux pages pour expliquer les retombées économiques d'un projet. Le gouvernement mettra en garde contre toute velléité de solidarité avec une grève des professeurs ou des infirmières. Une entreprise, sous le coup d'un scandale de corruption, cherchera à se blanchir par des faits ou des ordonnances de la Cour. Le lecteur gringo en reste pantois, se demandant ce qu'il devrait comprendre à de tels épanchements dans l'espace public. Le lavage de linge sale est-il donc une affaire de famille à ce point au Canada?

lundi 22 juin 2009

Visite à Manitos Creciendo,

organisme communautaire de Piura attaché a améliorer la situation des enfants et des jeunes travailleurs par des ateliers de formation professionnelle, de l'accompagnement psycho-social, des activités de sensibilisation et autres.

Vu de l'extérieur, le building ressemble à un entrepôt ou un hangar, mais à l'intérieur on se croirait dans un école primaire peinte de couleurs vives. Nous visitons un atelier de confection de vêtements, de coiffure et de cuisine. Des jeunes et des professionnels enseignent bénévolement à des presqu'enfants pour la plupart issus du marché, où beaucoup n'ont pas la chance d'aller à l'école.

L'intérêt du projet est son pragmatisme: à la différence d'autres organismes qui adoptent la "ligne dure" contre le travail infantile, Manitos Creciendo prend acte des nécessités économiques de nombreuses familles pour lesquels ce travail est essentiel. Par leurs ateliers professionnels, Manitos cherchent à attirer ces jeunes travailleurs et les soutenir dans leurs études.

Nous visitons une "ludoteca", sorte de local communautaire pour les enfants, où ils reçoivent de l'aide aux devoirs et réalisent des activités supervisées par un bénévole.

Si les initiatives de Manitos me rendent très enthousiaste, je le suis beaucoup moins lorsque je vois l'inégalité énorme entre riches et pauvres et l'inaction du gouvernement, qui laisse à une poignée de gens énergiques mais isolés le soin d'apporter un soutien que lui-même a abdiqué.

Dimanches

Être poursuivi par une fille en talons hauts, sur le trottoir, et le bruit que ça fait
Voir des scorpions se chauffer sur les pierres le jour, et des coquerelles la nuit
Sentir le soleil tout recouvrir d'une croûte de chaleur sèche et piquante
Manger du riz - mélangé avec quelque chose d'autre de variable
Relier les jours: parler d'hier, penser à demain
De la bouffe ridiculement cheap, des téléphones abominablement chers
Se pencher bas pour parler aux gens
Se battre comme un super-héros avec un enfant
(s'inventer des super-pouvoirs)
Rire
S'ennuyer beaucoup
Les dimanches

dimanche 14 juin 2009

Un village fantôme

L'endroit se nomme Chulliyache, à 15 minutes de route de Sechura. On y accède par une mauvaise route de terre, avec de chaque côté une vaste plaine croûtée de sel. La première impression est un choc, alors qu'on traverse un ensemble de ruines, des murs de béton à demi dissous par la pluie et le vent. On reconnaît des entrepôts, des maisons, des édifices divers, mais plus aucune peinture ni aucun toit, comme les ruines de Pompéi. Par endroits les briques de ciment sont tellement fondues qu'elles découvrent leurs parties les plus dures, petites pierres et coquillages.

On peut se perdre dans ce village fantôme, entrer dans les maisons envahies par la végétation épineuse, coquilles vides sans meubles, portes ou peinture, mis à part quelques graffitis. Le sable de la plage a tout envahi et bouche presque certaines entrées. El Niño est passé par ici en 1983, et la tempête a été si forte qu'elle a détruit presque tout le village. Les ruines dans lesquelles je déambule n'en sont qu'une petite partie: ce qui était la place centrale se trouve désormais sous l'eau, à près de deux cents mètres de la côte.

Je retourne voir les autres sur la plage, le soleil sort enfin, c'est déjà la fin de l'après-midi. La mer est lumineuse, les quelques bateaux sont des taches sombres, avec leurs voiles translucides à contre-jour. Je salue un vieux adossé au mur d'une maison de paille tressée; il y en a quelques-unes que des familles de Sechura utilisent pour s'abriter lors de leurs sorties à la plage. C'est déjà le temps de partir! Denis emporte avec lui un crâne de pélican tout blanchi par le soleil, qui lui fait une sorte de masque de carnaval. Ça me semble un souvenir très approprié pour un lieu si étrange!

Sechura

Sechura se trouve à 20 minutes de la côte, nichée dans une petite colline aux côtés de ce qui reste du fleuve Piura, un petit ruisseau presque sans courant qu'on pourrait traverser à pied, en levant un peu le pantalon. C'est une ville de 30 000 personnes, à moitié endormie et très silencieuse si on compare avec Piura. Le plus grand événement a été la sortie des classes tandis que nous étions sur la place d'armes: un défilé de centaines de jeunes filles et garçons en uniformes qui nous regardent en souriant.

Nous avons visité l'église de Sechura, vieille de près de 250 ans, la plus vieille de la région. Un petit vieux chauve un peu absent nous guide jusque dans le clocher, puis sur le toit de l'église, le pointle plus haut de la ville! De là, on voit toute la ville et le désert au loin. Difficile de résister au charme de cette vieille église mal préparée à accueillir des touristes! Je me l'imagine comme une vieille femme qui parle trop, de peur de ne pas en dire assez et de décevoir... Oui oui, vous pouvez monter sur le toit, pas besoin de barrière, ni de guide spécialisé! Je me promène longtemps sur le toit courbé, en regardant les écoliers en contrebas, avec juste un petit vertige plaisant dans l'estomac.

samedi 13 juin 2009

Le Pacifique

Ce vendredi, c'était la première fois que j'allais à la mer depuis mon arrivée au Pérou. Nous y sommes allés dans la camionnette de la radio où nous travaillons. Le correspondant de la radio Cutivalú à Sechura, Leoncio, était notre guide. Ma première conversation avec lui, quelques jours avant, lorsqu'il s'agissait d'organiser la journée, me laissa une impression étrange: regard fuyant, voix basse, éteinte. Derrière ses lunettes rondes plusieurs fois reconstruites (on voit la colle dépasser sur le verre), ses yeux sont noirs et regardent toujours trop à droite et trop bas. C'est plus tard que j'ai compris pourquoi. Du temps de la dictature de Fujimori, Leoncio a été enfermé pendant neuf ans et torturé. Il était alors musicien dans un groupe folklorique, je suppose que ça faisait de lui un opposant politique potentiel. Peut-être était-ce un cas classique de répression paranoïaque, ou alors une confusion administrative. L'une des séquelles de son incarcération a été une perte partielle de la vision. On ne sait jamais vraiment si Leoncio voit, imagine ou se souvient. Bien qu'il soit tout à fait capable de s'orienter, les gens qui lui coupent la route et les changements dans l'environnement (travaux dans la rue, etc.) le déstabilisent. C'est par l'écoute qu'il se situe. Je ne suis pas surpris lorsque Lucho me dit qu'il est l'un des meilleurs correspondants de la radio.

La route entre Piura et la côte traverse le désert de Sechura. Après quelques minutes de route à l'extérieur de Piura, ce sont d'abord des cultures irriguées, des rizières et des champs de maïs séparés par de longues rangées de cocotiers. Après Catacaos, à 10 minutes de Piura, commence le désert proprement dit, qui deviendra de plus en plus sec jusqu'à la côte, une heure plus loin. La terre des champs en bordure de la route pâlit de plus en plus, comme si elle dégorgeait du sel. Peu après, la végétation disparaît presque entièrement et le paysage devient légèrement plus accidenté: la route perce par endroits des buttes de terre blanche, crayeuse, faite de sable et de coquillages broyés. Nous traversons des villages desséchés qui me rappellent le nord du Mexique, des édifices de béton et de temps à autre des ánimas, les petits autels construits sur les bord des routes là où quelqu'un est mort.

Le dernier tronçon de route, celui qui nous mène à l'océan Pacifique, passe par une plaine vide et balayée par le vent. Nous passons deux ou trois usines de transformation, où l'on extrait l'huile du hareng pour ensuite le réduire en farine destinée à l'alimentation animale. Le tout est exporté en Chine. Puis, ce sont quelques chalutiers en cale sèche, supportés par un assemblage de madriers et hérissés de mâts qui au loin les font ressembler à des insectes gigantesques et multicolores. Il pleut un peu... des goélands apparaissent à l'horizon, puis l'océan!

Des dizaines de bateaux de pêche sont rassemblés autour du môle du port de pêche Las Delicias. Malgré le ciel gris et la bruine, je suis transporté par le bruit des vagues, par le vide qui nous entoure: presque personne, les bateaux ancrés, de chaque côté une longue plage vide de gens et de constructions. Nous avons rendez-vous avec un pêcheur ami de Leoncio qui nous emmène dans une petite barque en bois, dont la peinture bleue s'écaille par endroits. Elle semble se trouver à mi-chemin entre l'artificiel et le naturel, le bois cassé et tendre qu'on trouve sur les plages.

C'est l'anniversaire de Julie Sabourault aujourd'hui, et on chante bonne fête en français et en espagnol, au son de la guitare de Leoncio, alors que déjà on ne voit presque plus la côte. Nous laissons peu à peu les oiseaux derrière, mouettes, goélands, pélicans, ils préfèrent rester près des chalutiers, leur fidèle source d'alimentation facile.

La mer, d'abord presque plane, devient un paysage légèrement ondulé. Nous croisons des bouées qui marquent des cultures de coquillages en croissance. Une entreprise pétrolière, Petrotech, veut forer ici, ce qui préoccupe grandement les pêcheurs de la région, qui ont patiemment semé ces coquillages sur des kilomètres. Plus loin, des bateaux couverts d'une bâche, dépourvus de moteur, où vivent des gens comme dans une maison. Encore plus loin: de simples radeaux, assemblages de quelques troncs de balsa, d'un mât orné d'un drapeau. Un pêcheur à la ligne y passe la journée, avec un seau pour le poisson et un peu d'eau douce.

Au retour, rien qui soit digne de mention, mis à part un oiseau qui a décidé de me chier sur la tête et une bonne partie de la chemise. C'est arrivé tandis que nous passion tout près d'un grand bateau, une sorte d'usine de transformation flottante. Par un tuyau coulait une sorte de bouillie fétide qui attirait un véritable essaim d'oiseaux s'en nourrissant sans arrêter, ne s'arrêtant que le temps d'une diarrhée vite conclue en vol. Aux dires du pêcheur qui nous guidait et a aimablement lavé ma chemise à l'eau de mer, ces oiseaux évacuent de la sorte le trop-plein d'huile que contient cette bouillie qui par ailleurs leur semble très appétissante. J'ai donc fait le reste du tour de bateau torse nu, grelottant un peu à cause du vent, et aussitôt arrivé au port je me suis lavé les cheveux avec du savon à plancher qui m'a laissé le cuir chevelu rouge et endolori, mais propre!

Petite pensée du samedi soir

Depuis quelques jours, ça fait plus d'un mois que je suis au Pérou, mais c'est maintenant que j'y repense: être un "gringo", un "colorado", un visiteur de grande classe, qui ne passe pas inaperçu. Combien de regards on m'a jetés, combien de commentaires faits à mi-voix sur mes yeux, ma taille? Je ne sais pas. Je n'y pense plus vraiment... Et c'est là le problème.

Au Pérou, au Mali, au Mexique, être blanc c'est avoir gagné une loterie auquelle on n'a pas soi-même participé mais dont on récolte les fruits, souvent sans s'en rendre compte. Oú qu'on soit, on nous fait entrer par la grande porte, on nous montre ce qu'il y a de mieux et ce qui deviendra encore meilleur lorsqu'on l'aura vu. Tous les plats typiques, on les essaie. Les églises, on grimpe dedans. Toutes nos photos sont superbes, révélatrices, irréfutables. Tout ce qu'on fait, c'est pour la première fois. Où que l'on soit, ville ou campagne, devient un hall de spectacle. Ce que je regrette dans tout ça, c'est qu'être perdu - désorienté, mais aussi dépouillé de soi, et non pas sans cesse reconfirmé dans son être différent - devient plus ardu. Avancer difficilement, râcler les rues les unes après les autres, presque invisible, tomber, traverser des lieux étroits, inutiles, qui n'ont pas encore reçu leur sens...

Je repense à certains écrivains voyageurs que j'ai beaucoup lus lors de mon bac en littérature (je dois me remettre à lire plus souvent), Le Clézio surtout. Il a fait de l'immobilité un voyage: 4 ans dans la jungle mexicaine, l'Afrique, l'Océanie. Il a laissé le monde venir à lui plutôt que courir derrière. Je reconnais en lui mon amour pour les longs voyages, qui doucement se changent en "stations": on reste en un lieu de longs mois, parfois ennuyants, mais nécessaires. Si je veux comprendre, sentir où je suis, je dois assimiler un précepte scientifique de base: l'instrument de mesure - moi - doit se fondre dans le milieu mesuré, ne plus le perturber. Je crois qu'un vrai voyage, celui qui redonne au monde sa texture, sa complexité, sa multiplicité, a lieu dans un espace flou entre "étranger" et "local", entre différence et indifférence (ne plus être différent, ne plus rechercher la différence). En ce sens, la plus grand voyage peut être de rester chez soi.

Pour que la découverte du monde (par laquelle passe la découverte de soi, en ce qui me concerne) soit autre chose qu'une collection de cartes postales et de "must see", la lenteur est essentielle. Amazonas, Solimoes, Marañon, Putumayo... des noms superbes sur lesquels on doit s'étendre en longueur, y aller en bateau, comme Orellana. Marcher sur ses pieds, oui oui, ses vrais pieds, sans se plaindre que ces joints nommés genoux fassent mal, c'est normal. L'avion, j'adore lorsqu'il m'emporte et me fait voir des montagnes, des chemins et des forêts dans les nuages, lorsqu'il devient un espace en soi, comme l'éternelle histoire de l'ìle déserte: "qu'emmènerais-tu dans ton bagage à main?" Il faut cependant voir ce moyen de transport comme une sorte de téléporteur, que l'on doit prendre le moins possible, et s'en remettre longtemps. Trop sauter d'un point à l'autre, c'est jouer le jeu de tout ce qui tend à faire du monde une sphère rétrécie, de plus en plus lisse, compréhensibles, sous-titrée en caractères romains. C'est forer pour du pétrole où l'on devrait plutôt s'enfoncer dans une forêt. C'est aplatir les trois dimensions, et oublier la quatrième.

Je rêve souvent d'un voyage dans l'Amazone. Crever de chaleur, ne rien faire sur un bateau... S'abrutir, devenir autre chose, mais se garder soi comme une bouée, et observer. Il me vient à l'esprit de temps en temps que je vieillis. C'est une évidence contre laquelle un large pan de la mentalité occidentale, pour l'appeler comme ça, conspire continuellement. Je me vois mieux vieillir en Amérique du Sud et dans la chaleur qu'au Canada. Ici, les vieux le sont encore comme dans le temps, sans dents, penchés et ridés comme des arbres, et les jeunes jouent partout. Il me semble qu'on peut faire le tour de l'existence en faisant un tour du quartier...