lundi 13 juillet 2009

Chiclayo - le marché des sorciers

D'un certain point de vue, Chiclayo est comme le vieux Hull (clin d'oeil aux Outaouaïens): plein, plein de fils électriques dans les rues, avec les poteaux assortissants sortis d'il y a vingt ans, alors que de chaque côté de la rue s'élève depuis un bail des édifices de 3 ou 4 étages. Avec la multitude d'affiches, de posters et de gens qui vendent n'importe quoi dans la rue et de passants qui vaquent à leurs occupations, on a l'impression d'un joli chaos. Tout à l'air moderne, c'est à dire construit récemment, ou construit selon l'esthétique moderniste, ce qui est moins flatteur. Un hôtel pourra ainsi être recouvert de losanges violets et parsemé de fenêtres ovales, tout cela sans honte, voire même se nommer Abu Dhabi ou Pharaon.

À première vue, l'idée que Chiclayo abrite le marché de sorcellerie le plus conu du Pérou semble donc étrange. On se dit que business du 21e siècle et architecture du 20e font mauvais ménage avec des croyances ancestrales, transmises de père en fils... Mais au contraire, c'est plein de sens. La sorcellerie, après tout, ce n'est pas juste transformer les gens en animaux ou faire ingurgiter des parties obscures desdits animaux auxdites gens... c'est une activité économique, un échange fascinant entre un savoir mélangé d'esbrouffe et de charlatanisme, et un besoin aussi pressant qu'il est immémorial: la queue qui ne lève pas ou trop, la toux, les douleurs, la tristesse, l'incompréhension du monde et de soi-même, etc.

Le marché des sorciers, donc, consiste en une subdivision du marché de Chiclayo, cet éternel carré de chaos planté dans toutes les villes péruviennes (ou du monde extra-occidental-développé, d'après ce que j'ai vu jusqu'à présent dans ma vie). On est d'abord passés tout droit, vue l'énormité du marché en soi, avec ses allées interminables de matériel de cuisine, de vêtements, de légumes, sa cafétéria gigantesque parsemée de flaques à l'odeur marine. Après avoir fait le tour d'un parc complètement envahi par les vendeurs ambulants, qui me faisaient penser aux écureuils du parc Lafontaine par leur nombre et leur voracité, avoir évité les vendeurs de DVD et contemplé des mannequins à moitié démolis qui exhibent tristement une pièce de vêtement made in Lima, avoir traversé un mur presque solide de cumbia sécrétée par des hauts-parleurs aussi extatiques que les quelques danseurs du marché étaient amorphes, avoir supporté des sifflements continuels de quelques piliers de bar, on arrive au marché des sorciers.

C'est l'odeur qui frappe. Des épices qu'on n'a pas senties depuis longtemps (les Péruviens ne cuisinent pratiquement qu'au sel), des effluves piquantes, sucrées, d'autres qui font tourner la tête. Les étalages vendent un amoncellement d'objets étranges. Pour n'en nommer que quelques-uns:

Des poupées style vaudou, qui témoignent à mon avis d'une contamination culturelle, puisque d'après mes infos la spiritualité péruvienne qui sous-tend les sorciers d'ici ne comporte pas cette croyance que l'on peut "recréer" l'esprit et le corps d'une personne dans un objet.
Des thés et des herbes pour guérir: la toux, l'impuissance, les problèmes amoureux, les calculs biliaires ou rénaux, le diabète, l'hypertension, le rhume, le cancer, le surplus de poids, etc.
Des bâtons de tabac à chiquer ou fumer, qui ressemblent à des saucisses pendues devant les étals.
Des herbes médicinales fraîches, pour ceux qui savent les préparer.
Des armes blanches, des aimants et de la poudre de fer, pour certains rituels chamaniques.
Des animaux sculptés pour représenter un mal à guérir.
Des fioles de potions censées stimuler l'attraction de l'être aimé envers soi, ou la décourager lorsqu'on est l'objet irrité d'une telle attraction.
Des objets artisanaux divers, plus ou moins dotés d'une signification précise dans le monde de la sorcellerie. Certains ont un trou dans lequel on souffle pour émettre des notes de musique.
Des ossements et peaux d'animaux et des racines diverses issus des trois mondes du Pérou: la côte désertique, les sommets andins et la forêt amazonienne.

Un homme nous explique la méthode de fabrication d'une sorte de jus hallucinogène fait de tiges de cactus de San Pedro bouillies. Il est fils et petit-fils de sorcier, mais surtout très bon à vendre sa salade, alors on achète. On essaiera ça sur une plage... L'utilité de ce liquide, lors des rituels chamaniques, est d'ouvrir la conscience et permettre de communiquer avec les morts, voir le passé ou le futur ou encore visualiser un problème ou un mauvais esprit pour mieux l'affronter. Dès l'époque des Incas, voire pré-inca, les propriétés de ce cactus étaient connues et exploitées lors de cérémonies religieuses.

Je reste immobile quelques instants devant un homme et son espèce d'étal ambulant. Sous le parasol qui coiffe le tout, un petit macaque qui fait toujours le même geste entêtant de va-et-vient de côté. Je ne comprends pas ce qu'il vend ou quel service il rend. Il est là, au milieu d'une allée passante, avec son petit macaque.

1 commentaire:

  1. Alors, tu as essayé le cactus de San Pedro? Tu me donneras tous les détails, je suis vraiment intéressé.

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