lundi 6 juillet 2009

Politique péruvienne 101

La politique au Pérou vit sous le signe de la conflictualité. Récemment, une série de décrets du Congrès, visant à ouvrir de larges pans de l'Amazonie péruvienne à l'exploitation pétrolifère, gazière et agricole, se sont terminé en bain de sang dans la localité de Bagua. Des indigènes, venus défendre l'intégrité de leurs terres ancestrales, se sont heurtés aux forces de l'ordre et à l'armée venue déloger les protestataires de la route que les premiers bloquaient depuis des semaines, privant la ville de ravitaillement. Le chiffre des morts, oscillant entre 30 et plus de cent, a fait écho à travers la planète, mais pas assez encore pour sensibiliser l'opinion mondiale au sort de la forêt amazonienne et de ceux qui l'occupent sans dommages depuis des millénaires.

La ministre de l'Intérieur, Mercedes Cabanilla, a accusé tour à tour le président de Asociación Interétnica de Desarrollo de los Pueblos amazónicos, Fernando Pizango, des intérêts étrangers, dont ceux du Venezuela, et les indigènes eux-mêmes. Demain, une grève générale pan-péruvienne aura lieu. On s'attend à ce que le transport urbain et interurbain soient perturbés. Mme. Cabanillas a annoncé qu'elle envisageait d'envoyer l'armée en renfort à la police, comme à Bagua. Qui a dit que les femmes en politique étaient plus réfléchies?

S'ADRESSER À LA POPULATION, OU: QUI HURLERA LE PLUS FORT?

Un tour de voiture dans n'importe quelle ville ou village péruviens réserve une surprise au visiteur gringo. Sur le moindre mur offrant des conditions de visibilité acceptables, surtout en bordure des routes principales, on trouve des slogans de partis politiques et de candidats écrits tellement gros que l'on suppose tous les Péruviens bigleux. En voici quelques-uns.

Keiko presidente, Fujimori inocente: Fuerza 2011. Keiko est la fille de l'ancien président maintenant emprisonné pour une tuerie qu'il aurait commandée dans le cadre de la lutte contre le Sentier Lumineux. De facto dictateur, il a dissous le Parlement pour se faire réélire, avant de fuir un scandale d'espionnage et de corruption et de se réfugier au Japon, pour être emprisonné alors qu'il visitait le Chili. Une bonne partie de la population du Pérou juge que son règne, par sa dureté et ses valeurs conservatrices, en plus de la bonne posture économique du Pérou durant ce temps, a été somme toute positif.

Ollanta Humala, la voz del pueblo. Chef du parti nationaliste, le second en force au Congrès, on l'accuse d'être un pantin de la révolution bolivarienne du président Chávez du Venezuela.

Note sur les deux précédents: Mario Vargas Llosa, le célèbre écrivain péruvien, a dit de que choisir de voter pour Keiko ou Ollanta Humala était comme choisir entre le sida ou le cancer au stade terminal.

Con Alan, el Perú avanza. Alán García est le président actuel. Plutôt néolibéral, pas mal plus à droite qu'on aurait cru. À grands renforts de publicités dans les journaux, il annonce que la pauvreté recule dans son pays. Au yeux d'un statisticien, c'est vrai. Pour prendre un exemple cher aux Péruviens, si le Pérou produit aujourd'hui deux poulets au lieu d'un seul hier, qui dirait qu'il ne s'est pas enrichi? Mais la question à poser est plutôt: "qui mange les deux poulets?" Le Pérou demeure l'un des pays dont la distribution des richesses est la plus inégalitaire, même en Amérique du Sud ou l'écart entre riches et pauvres est notoirement énorme.

JOURNAUX À VENDRE

Autre choc pour le gringo, cette fois lecteur: le nombre d'annonces, de communiqués et de messages publiés dans les journaux à grand tirage par des entreprises, le gouvernement, des partis politiques ou des syndicats, pour attaquer un adversaire, démentir des faits ou des allégations, convaincre le lecteur du bien-fondé d'un projet, ternir la réputation d'un ennemi politique ou laver la sienne propre. Par exemple, une entreprise minière se paiera deux pages pour expliquer les retombées économiques d'un projet. Le gouvernement mettra en garde contre toute velléité de solidarité avec une grève des professeurs ou des infirmières. Une entreprise, sous le coup d'un scandale de corruption, cherchera à se blanchir par des faits ou des ordonnances de la Cour. Le lecteur gringo en reste pantois, se demandant ce qu'il devrait comprendre à de tels épanchements dans l'espace public. Le lavage de linge sale est-il donc une affaire de famille à ce point au Canada?

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