Depuis quelques jours, ça fait plus d'un mois que je suis au Pérou, mais c'est maintenant que j'y repense: être un "gringo", un "colorado", un visiteur de grande classe, qui ne passe pas inaperçu. Combien de regards on m'a jetés, combien de commentaires faits à mi-voix sur mes yeux, ma taille? Je ne sais pas. Je n'y pense plus vraiment... Et c'est là le problème.
Au Pérou, au Mali, au Mexique, être blanc c'est avoir gagné une loterie auquelle on n'a pas soi-même participé mais dont on récolte les fruits, souvent sans s'en rendre compte. Oú qu'on soit, on nous fait entrer par la grande porte, on nous montre ce qu'il y a de mieux et ce qui deviendra encore meilleur lorsqu'on l'aura vu. Tous les plats typiques, on les essaie. Les églises, on grimpe dedans. Toutes nos photos sont superbes, révélatrices, irréfutables. Tout ce qu'on fait, c'est pour la première fois. Où que l'on soit, ville ou campagne, devient un hall de spectacle. Ce que je regrette dans tout ça, c'est qu'être perdu - désorienté, mais aussi dépouillé de soi, et non pas sans cesse reconfirmé dans son être différent - devient plus ardu. Avancer difficilement, râcler les rues les unes après les autres, presque invisible, tomber, traverser des lieux étroits, inutiles, qui n'ont pas encore reçu leur sens...
Je repense à certains écrivains voyageurs que j'ai beaucoup lus lors de mon bac en littérature (je dois me remettre à lire plus souvent), Le Clézio surtout. Il a fait de l'immobilité un voyage: 4 ans dans la jungle mexicaine, l'Afrique, l'Océanie. Il a laissé le monde venir à lui plutôt que courir derrière. Je reconnais en lui mon amour pour les longs voyages, qui doucement se changent en "stations": on reste en un lieu de longs mois, parfois ennuyants, mais nécessaires. Si je veux comprendre, sentir où je suis, je dois assimiler un précepte scientifique de base: l'instrument de mesure - moi - doit se fondre dans le milieu mesuré, ne plus le perturber. Je crois qu'un vrai voyage, celui qui redonne au monde sa texture, sa complexité, sa multiplicité, a lieu dans un espace flou entre "étranger" et "local", entre différence et indifférence (ne plus être différent, ne plus rechercher la différence). En ce sens, la plus grand voyage peut être de rester chez soi.
Pour que la découverte du monde (par laquelle passe la découverte de soi, en ce qui me concerne) soit autre chose qu'une collection de cartes postales et de "must see", la lenteur est essentielle. Amazonas, Solimoes, Marañon, Putumayo... des noms superbes sur lesquels on doit s'étendre en longueur, y aller en bateau, comme Orellana. Marcher sur ses pieds, oui oui, ses vrais pieds, sans se plaindre que ces joints nommés genoux fassent mal, c'est normal. L'avion, j'adore lorsqu'il m'emporte et me fait voir des montagnes, des chemins et des forêts dans les nuages, lorsqu'il devient un espace en soi, comme l'éternelle histoire de l'ìle déserte: "qu'emmènerais-tu dans ton bagage à main?" Il faut cependant voir ce moyen de transport comme une sorte de téléporteur, que l'on doit prendre le moins possible, et s'en remettre longtemps. Trop sauter d'un point à l'autre, c'est jouer le jeu de tout ce qui tend à faire du monde une sphère rétrécie, de plus en plus lisse, compréhensibles, sous-titrée en caractères romains. C'est forer pour du pétrole où l'on devrait plutôt s'enfoncer dans une forêt. C'est aplatir les trois dimensions, et oublier la quatrième.
Je rêve souvent d'un voyage dans l'Amazone. Crever de chaleur, ne rien faire sur un bateau... S'abrutir, devenir autre chose, mais se garder soi comme une bouée, et observer. Il me vient à l'esprit de temps en temps que je vieillis. C'est une évidence contre laquelle un large pan de la mentalité occidentale, pour l'appeler comme ça, conspire continuellement. Je me vois mieux vieillir en Amérique du Sud et dans la chaleur qu'au Canada. Ici, les vieux le sont encore comme dans le temps, sans dents, penchés et ridés comme des arbres, et les jeunes jouent partout. Il me semble qu'on peut faire le tour de l'existence en faisant un tour du quartier...
samedi 13 juin 2009
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"C'est aplatir les trois dimensions, et oublier la quatrième." Très jolie comme phrase.
RépondreSupprimerC'est d'ailleurs pour cette raison que voyager pour voyager n'a maintenant plus de sens pour moi. Il faut que je me fonde dans le pays, il faut que je vive de tous mes cinq sens et en dernier lieu il faut que je me comprenne et que je comprenne les autres sans nécessairement porter de jugement. Pas facile. (Lyd)