mercredi 10 juin 2009

Saturday Night Fever à Piura

Bongo's. Avec un nom pareil pour un club, on est en droit de s'attendre à une nuit tropicalement festive, pis c'est ce qu'on a eu! Ça a bien commencé: quelques cuba libres pendant qu'on observe les couples et les groupes aux autres tables, puis on passe au fameux pisco sour, du vin fort, de jus de citron en quantité et du blanc d'oeuf mousseux! J'en ai encore la langue brûlée de plaisir!

La piste de danse... heureux de pas être latino! À voir tous ces hommes et femmes seuls qui ne foutent rien échoués sur le bord des tables, je me dis que ne pas avoir de partenaire de danse semble être la suprême malédiction! Ça gigote tranquille, dans l'attente fataliste que quelque chose se passe. PENDANT CE TEMPS... 4 énergumènes, de peau blanchâtre et éructant ce que certains croient être un dialecte de l'anglais, se démènent allègrement! Le contraste est total avec la faune locale, certes plus mobile du bassin, mais débranchée des membres supérieurs. La piste de danse s'ouvre tandis que que les 4 taches blanches fouettent l'air avec leurs bras et font onduler leurs corps. Devant, sur la scène, deux danseuses en petite tenue et un animateur en chemise à fleurs nous demande d'où on vient et s'assure périodiquement de notre présence sur la piste de danse.

Bien sûr, une soirée digne de ce nom doit donner lieu à des rencontres intéressantes. Moi et Denis "el Chinito" Wong dansons avec deux Péruviennes de taille inégale, moi avec la plus petite qui me fait travailler des quadriceps. On change ensuite de partenaire et je me retrouve avec la plus grande. Trop technique, elle me demande si je vois la différence entre le merengue de Lima et celui de Piura. ¿Perdón? On passe ensuite à une danse de la selva, puis à la cumbia, etenfin au reggaeton. Mes quadriceps crient de douleur tandis que nous descendons au troisième sous-sol. Il faut dire ici que la même journée j'étais allé au gym et fait de la capoeira.

Fin de la soirée vers 5 heures du matin. Elle me demande si je suis croyant, je réponds par une vague "je sais pas" d'agnostique qui s'assume pas. Mauvaise réponse! Je lui parle de mon séjour en Afrique, de l'extrême pauvreté là-bas. "C'est parce qu'ils croient en plusieurs dieux", qu'elle me répond. En un seul en fait, Allah: ils sont musulmans et férocement monothéistes. "...". Loin de moi l'idée de ridiculiser qui que ce soit, mais je dois dire qu'à 5 heures du matin, crevé et avec l'estomac dans les talons, ce fut une discussion hallucinatoire... on est rentrés chez nous comme il se doit, tandis que les oiseaux se remettaient à gazouiller et que les vendeurs sortaient dans les rues...

Après Tambo Grande, Malingas

Malingas est un petit village (un cacerío, communauté agricole). Plus d'asphalte ni d'éclairage public. Des ânes réfugiés à l'ombre de la place centrale. Plus de gazons branchés sur la respiration artificielle comme à Piura, mais des buissons secs, des plantes du désert. Nous y rencontrons Fernando Carrasco Zapata et Manuel Castillo, deux leaders de la lutte contre l'implantation de la mine à Tambo Grande. Ils nous racontent leur marche depuis Tambo Grande jusqu'au gouvernement régional de Piura, soit plus de 90 kilomètres, les heures et les jours passés sur la route à rencontrer la population, les agriculteurs, et à expliquer ce que l'entreprise minière ne semblait pas pressée d'expliquer: l'utilisation de cyanure et de mercure pour laver le minerai, l'impossibilité de ce faire sans contaminer la nappe phréatique et la rivière.

Ils nous parlent de l'avenir, de travailler pour que leur monde soit meilleur pour leurs enfants qu'il l'a été pour eux. Fernando nous parle, me parle de la conviction qui est plus forte que n'importe quelle somme d'argent. Nous sommes assis sur le parvis de la mairie, où ils font le planton depuis 72 jours en protestation contre la mauvaise gestion du maire actuel. Le soleil est si fort que mes yeux me font mal, mais je continue d'écouter la tête basse, les yeux fermés. La conviction, "améliorer la vie". Je reconnais dans ses paroles et sa personne un peu de ce que je veux être, à commencer par l'oubli de soi, ne pas ignorer les autres avant, après et plus loin que soi.

Une ville à ciel ouvert

Avant que j'aie pu m'en rendre compte, le temps s'est mis à courir dans toutes les directions... j'en ai donc long à raconter! Jeudi et vendredi passés, nous avons visité Tambo Grande, une ville de 30 000 habitants à 1h30 de route de Piura. En si peu de temps, l'environnement change du tout au tout: depuis le désert vers la brousse puis le bosque seco (forêt qui pousse dans le sable, essentiellement d'algarrobos qui peuvent aller chercher l'eau profondément) et finalement le valle San Lorenzo y Chira, vaste région agricole irriguée dont l'épicentre est Tambo Grande. 45 000 hectares de mangueraies, bananeraies, plantations de riz, d'ignames, de maïs, etc... Il y a 60 ans, les premiers agriculteurs de la région ont creusé un canal de 9 kilomètres à travers les montagnes pour alimenter la vallée en eau, en même temps qu'ils instauraient un ingénieux système de répartition de l'eau afin que les cultures reçoivent la quantité juste d'eau, sans gaspillage. Sur toute la longueur du canal d'irrigation, une série de vannes disperse l'eau dans les plantations, selon un plan prétabli. À courts intervalles, de petits ponts de béton, mais surtout de troncs d'arbres et de boue, traversent le canal et donent accès aux maisons sur l'autre berge. Des enfants se baignent, des adultes prennent leur bain, et des animaux viennent boire dans cette eau courante qui se met à gronder lorsque le canal se rétrécit ou que la pente augmente.

Mais je m'avance... nous ne sommes pas encore arrivés à Tambo Grande. Nous sommes encore dans l'autobus qui nous y emmène, suffocant de chaleur, assis dans des bancs moulus dont on sent les moindre détails structurels dans notre dos. La transmission éclate. L'autobus essaie de se ranger sur le terre-plein, qui est plutôt un terre-vide, s'incline et tombe presque à la renverse. Les esprits s'échauffent, un homme exige d'être remboursé, un autre extrait ses bagages de la soute et cherche un autre moyen de transport. Nous attendons sous une toiture de palmes, au milieu de nulle part. Pour ma part, je suis content de cet arrêt inopiné: l'espace d'un instant, nous sommes sortis de cette bulle qui sépare la route et le paysage en deux mondes hétérogènes. Reste une autre barrière invisible, entre gringos et péruviens... les femmes nous regardent du coin de l'oeil, les enfants avec insistance, les hommes nous ignorent (ou nous parlent en pseudo-anglais). Après une demie-heure, un autre autobus arrive, beaucoup plus luxueux que le premier, et c'est reparti!

La gare routière de Tambo Grande est un enfer et les gens qui y travaillent sont soit des entités démoniaques qui ont juré de nous extirper notre argent jusqu'au dernier sou, soit des damnés forcés de nous vendre des pâtisseries ou de gueuler "mototaxi" comme si nous étions aveugles, manchots et incapables de décider où aller. Heureusement, nous sommes avec Nelson Peñaherrera, notre contact de Tambo Grande, responsable de l'ONG Factor Tierra et aveugle de surcroît, bien qu'on l'oublie souvent tant il semble sûr de lui.

Factor Tierra a été l'une des organisations les plus actives dans la lutte contre l'implantation d'une mine à ciel ouvert sur le site même de la ville. Pour nous expliquer ce qui s'est passé, Nelson nous emmène en haut d'une colline au centre de la ville, sur un belvédère surmonté d'une statue géante du Christ... souvenir de Rio de Janeiro, version miniature! Dans cette colline et une bonne partie du sous-sol de la ville ont été détectés de l'or, de l'argent, du zinc et du fer en quantités appréciables. En 1999, une compagnie canadienne, Manhattan, tente de convaincre la population de déplacer une partie de la ville pour exploiter ce gisement. Le plan était de creuser un gigantesque puits à ciel ouvert de plus d'un kilomètre de diamètre et 300 mètres de profondeur, et d'utiliser les eaux du río Piura pour laver le minerai, contaminant de ce fait l'une des seules sources d'eau de la région, en amont de villes importantes comme Piura ou Sullana, et en dernier lieu le réservoir où cette eau est stockée pour irriguer les cultures à des centaines de kilomètres en aval. La population, au cours d'une des premières consultations populaires au Pérou et au monde, a rejeté l'offre de la compagnie minière à plus de 98%, exprimant de la sorte sa volonté de maintenir la vocation agricole de la vallée de San Lorenzo y Chira.On ne peut que les comprendre: après tout le travail entrepris pour transformer une vallée semi-désertique en oasis de la productivité, qui exporte pour plus de 300 millions de dollars de fruits et légumes par année!

Aujourd'hui, Tambo Grande est une ville tranquille mais prospère. Sa population est fière de son combat contre la mine et a élevé un monument à l'un de leurs camarades assassiné au plus fort des violences. Le gisement est encore sous la ville. Nelson nous rappelle que cette lutte n'a pas de fin. La population continue de rapporter des vols d'hélicoptères à basse altitude et des camionnettes sans identification dans la campagne...

dimanche 31 mai 2009

Petit dimanche creux

Petit dimanche tranquille, de soleil brûlant, un peu solitaire et ennuyeux... mais propice à la réflexion et à l'observation.

Piura, l'esprit de groupe et le commerce: les magasins tendent à se regrouper sur une rue ou un coin de rue; sur un tronçon de Sánchez Cerro se concentrent une quinzaine de lunetteries; sur Arequipa, les boutiques de chaussure; plus loin, les rôtisseries; ailleurs, les vendeurs de crème glacée et de motocyclettes. Je me demande comment la ville s'est organisée de cette façon, mais ça me semble très pratique! L'esprit de groupe ne s'arrête pas là: les feux rouges se regroupent aussi; trois sur une même avenue, puis plus un seul. Les arbres, dans les parcs. Les filles sur les bancs de la place d'armes et les gars sur le terrain de fútbol. On ne fait pas grand-chose tout seul, surtout pas rentrer chez soi tard le soir.

La musique: il y en a partout! Notre voisin immédiat a une école spécialisée dans la marinera, une danse folklorique où la femme est en robe garnie et l'homme tout de chic vêtu. De temps en temps, on entend pratiquer l'orchestre de cuivres et les cris du professeur qui marque les temps ou son insatisfaction, je sais pas. Lorsque je monte sur le toit de la maison, là où Roxana lave nos vêtements et les mets à sécher et où je vais faire mes exercices de capoeira, on entend de la musique sortir de différents points du quartier. Cela devient parfois un véritable paysage sonore qui se déploie quand on tend bien l'oreille. D'un côté, sorti d'une maison, du reggaeton. Dans la rue, mobile, un sifflet ou une chanson pour vendre du pain, des bonbons ou de la crème glacée, ou encore pour aiguiser les couteaux. La radio d'un taxi qui passe ou qui attend son client. Des cris et des rires, des pas de courses dans l'allée devant la maison, en contrebas. L'une des choses qui me plaisent le plus ici (et partout où je suis allé en Amérique latine), c'est l'ouverture de l'espace à l'air, à la musique et à la vie. Les propriétés sont bien sûr toujours clôturées, mais pas hermétiques comme au Canada.

Sortie à l'école primaire/secondaire San Ignacio de Loyola aujourd'hui pour une danse d'ouverture de la saison sportive. On a à peine l'impression d'y voir plus d'enfants que d'habitude, tant ils sont déjà partout. Le soleil m'empêche d'en profiter pleinement; la piste de danse est un four à ultraviolets pour le seul gringo dans l'assistance! Ma grande soeur d'accueil essaie de m'expliquer quelques aspects techniques de la cumbia, mais je ne comprends rien avec la musique et les cris qui nous environnent; c'est au sujet de mon bassin et de mes épaules. La cumbia, c'est la règle de trois: pieds, bassin, épaules. Je les ai assez mobiles, mais aujourd'hui l'envie de manque de faire mon numéro de grande asperge blanche, pas assez évoluée pour retirer quelque chose de son exposition au soleil, genre photosynthèse ou appendices comestibles.

jeudi 28 mai 2009

Un bidonville à la piuranaise

À Piura, les bidonvilles portent le nom d'asentamentos humanos: peuplements humains, et se distinguent des urbanizaciones, qui disposent d'eau courante, d'électricité, de transport urbain, etc. Celui où nous sommes allés, Los Polvorines, a peu en commun avec les favelas de Rio de Janeiro qui s'étaient imprimées dans mon esprit comme le bidonville type. Pas de musique mais le silence quasi total. Pas de passants ni d'agitation mais des rues sablonneuses, vides et larges. Pas de collines mais une étendue absolument plate, dépourvue d'arbres et cuite au soleil. On ressent une impression de calme, cette beauté des après-midis ensoleillés où on ne fout rien et où les gens disparaissent. Les maisons sont espacées régulièrement les unes des autres: un urbaniste serait-il passé par ici, ou alors un militaire nostalgique de ses baraquements militaires? Le point le plus haut, détaché sur l'horizon, est la croix de bambou de l'église.

Les murs sont en fibres végétales tressées ou en feuilles minces de contreplaqué. Les toits se réduisent à de la tôle ondulée qui brille au soleil à perte de vue. Je lis un panneau, combinaison d'images et de slogans, qui nous explique les règles à suivre en cas d'inondation lors de la saison des pluies; le bidonville est installé sur une plaine inondable. Je comprends pourquoi tout semble neuf et ordonné: les habitants sont sans doute fréquemment contraints à tout rebâtir...

En dix minutes, nous sommes de retour en plein coeur de Piura. Lucho (notre partenaire à la radio communautaire où nous travaillons) m'explique que ce sont les habitants des asentamentos humanos qui travaillent comme ménagères dans les maisons ou dans les boutiques du centre-ville. Deux stagiaires viendront travailler ici avec des enfants pour que leur réalité se retrouve sur les ondes de la radio. J'ai hâte de connaître ces jeunes! Les entendre me semble d'autant plus nécessaire que ce bidonville, tout ordonné et calme, semble conçu pour ne pas attirer l'attention et être oublié.

mardi 26 mai 2009

Petite visite chez l'artisan

Nous sommes sortis de Piura aujourd'hui. Il n'a pas fallu longtemps pour nous rendre compte que le centre de la ville, avec la place d'armes, l'église aux teintes pastel, les dizaines de restaurants et de pharmacies, les enfants et les jeunes dans leurs uniformes colorés d'écoliers... c'est un monde à part. En dix minutes de routes, nous étions dans les champs. L'air est devenu plus pur, le soleil, plus dur encore.

L'asphalte de la route et les champs de coton ou de pommes de terre semblent posés sur la poussière sèche et pâle. Le désert qui environnait autrefois Piura ressort par endroits. Quelques personnes mènent des bandes de vaches et de chèvres sur le bord de la route ou attendent sous les arbres que la chaleur diminue.

Nous nous arrêtons à Chimbila pour y visiter un atelier de poterie. 45 personnes, regroupées en coopérative, y pratiquent encore des techniques issues de la culture tallán vieille de plus de 5 siècles. Ici, plus d'asphalte, mais de la terre sèche qui s'envole sous les pneus du 4x4 et nous accompagne, poussée par le vent. Elle laisse un goût légèrement acide et métallique dans la bouche. Plus de béton ni de ciment, mais de la terre glaise mouillée et plaquée sur des murs de bambou. Nous traversons quelques rues étroites, avec de chaque côté des maisons tellement basses que notre camionnette les surplombe presque. Nous devons bientôt nous arrêter et continuer à pied; devant nous les rues sont éventrées pour y installer des égouts et des canalisations d'eau.

La glaise est partout dans l'atelier de poterie. Les murs sont en glaise, la vaisselle, le sol. Les vases, encore humides, sont énormes... Impossible de les transporter seul! Avant le verre ou le plastique, on y conservait l'eau et on y préparait la chicha, une boisson de maïs fermenté. Ces pièces de poterie sont désormais souvent exportées, en Amérique du Nord ou en Europe où elles valent cent fois le prix de vente de l'artisan.

C'est déjà le temps de repartir! Je prends une photo de petites filles curieuses qui nous suivaient depuis un certain temps en parlant à voix basse de nos yeux ou nos cheveux. Un ouvrier me demande du fond de sa tranchée de le prendre en photo. Je grimpe dans la boîte arrière de 4x4. La poussière me suit toujours avec son petit goût acide...

lundi 25 mai 2009

Cathy la pilota

L'autre soir: sortie dans LA discothèque de Piura. Le Queen's, propriété d'un Péruvien d'origine japonaise. Le pichet de Brahma à 5 soles (2$). Nous avons beaucoup dansé. C'est fou comme on prenait de la place! Alors que les Péruviens semblent surtout danser en couple et bouger du bassin, les Canadiens aiment l'espace, la solitude et les mouvements d'épaules...

Je me suis retrouvé à danser avec Cathy, jeune limeña de 21 ans. Future pilote d'avion de chasse. Elle m'a enseigné un peu de cumbia, de salsa et d'autres danses péruviennes. Franchement très agréable! Je dois vraiment me trouver une professeure de danse. Danser m'a rarement fait sentir aussi bien!

Premier choc

Il est 2 heures du matin, la chaleur est toujours aussi forte. Il flotte une odeur chimique dans la maison: on vient d'y pulvériser de l'insecticide pour le moustiques et les coquerelles, ou blattes ou encore cafards, c'est selon. Je reviens tout juste de la clinique où j'ai accompagné Denis. Cet après-midi, il a commencé à avoir de la fièvre et des tremblements. Après la crainte initiale que ce soit la malaria ou la dengue, je suis rassuré: il s'agirait d'une infection à l'estomac. Après un long appel à la compagnie d'assurance, au cours duquel j'ai dû décliner l'identité de Denis sous toutes ses formes, nous sommes repartis. Du Cipro, un antispasmodique, de la solution de réhydratation, il en sera quitte pour du repos dans sa famille d'accueil. Bien que je sois en général agréablement surpris de l'hygiène ici, les restaurants de Piura ne sont donc pas inoffensifs!

La première rencontre avec les familles: un moment tellement intense, un choc! Je revis ma propre expérience de la chose au Mali, et je mesure le chemin parcouru. J?ai hâte d'en savoir plus sur leur première nuit demain!

dimanche 24 mai 2009

Commençons par le commencement:

Je m'appelle Nicolas, Nico pour les intimes et les amis. Je suis au Pérou depuis deux semaines. Objectif: réaliser un projet de radio communautaire, fruit d'une collaboration entre une ONG canadienne, Développement et Paix, et un organisme péruvien, la Coordinadora Nacional de Radio. Nous sommes 7 Canadiens, je suis l'accompagnateur. C'est une expérience totalement nouvelle pour moi, j'espère que tout ira bien!

Si on imaginait la partie Nord du Pérou comme une main tenant l'Équateur entre ses doigts, nous serions dans le pouce. Je me dois de préciser: une main très vieille, et très sèche. Piura, la ville où nous trouvons, est encerclée par le désert de Sechura qu'elle parvient à oublier par un effort massif d'irrigation: les cultures de fruits se mélangent avec celles de riz dans la région, et à Piura même on s'amuse de voir des carrés de gazon greffés sur du sable. C'est une ville très active, pleine de gens accueillants, de restaurants chinois, de jeunes enfants (il y a des écoles à tous les coins de rue) et de mototaxis (une sorte de rikshaw motorisé atrocement lent) qui nous klaxonnent sans arrêt. La chaleur est intense et m'empêche de penser certains après-midis, et ma coutume acquise de Mali de faire la sieste refait surface... Depuis que je suis arrivé, il a fait soleil tous les jours.. le temps s'écoule différemment, inutile ici de suivre les variations de la météo ou d'essayer d'être efficace entre midi et 16 heures.

Ma famille d'accueil est très liée à la radio: Belia, ma "tante", en est la directrice, et ma grande soeur Jessica y travaille comme secrétaire. Leur père Tito est un policier à la retraite et éleveur de perruches émérite. Il m'a fait photographier un oeuf minuscule dudit volatile, je vous montrerai ça un de ces quatre. La mère Peto vend des vêtements au marché qu'elle va chercher à Lima (14 heures de route...).

Le marché... un bordel comme je les aime. Il y a bien sûr les copies chinoises d'articles divers, des petits kids désoeuvrés ou pendus à leur mère qui vend des desserts à la noix de coco ou des fruits. Des vieux dont tu comprends que dalle ce qu'ils disent, hormis le prix et que c'est très bon. Une section carrelée pour les bouchers, avec une sorte de fossé dégueulasse où les restes mortels des carcasses d'animaux donnent sa texture si particulière à l'atmosphère. J'y suis allé acheter de quoi cuisiner un pâté chinois et pour faire visiter à mes compagnons canadiens.

Entre la merde de chien par terre et les condoms au plafond, la présidente des putes... et un choc existentiel.

Au Pérou, les choses arrivent beaucoup plus par hasard et par contact que par planification. Notre amie Magda en est un bon exemple: le premier jour de l'arrivée de Denis, Julie, Julie, Julie, Marilyne et Annik, mes compagnons stagiaires, nous avons vu un défilé scolaire au centre de la ville, des voitures et des camions décorés et des enfants de tous âges déguisés en Indiens de la forêt amazonienne, en religieuses ou en danseuses. Pas mal sexy, on se met à danser, je me récolte un beau paquet de balounes que je donne généreusement aux gens qui regardent le show sur le trottoir. On entame la conversation avec celle qui deviendra la fameuse Magda. Le même soir, on se retrouve pour un concert à l'université publique de Piura. Ça se termine par des sérénades vers minuit, dans le noir et en version acoustique.

Elle nous invite à son anniversaire: cool! Une personne connue, une belle occasion de rencontrer des gens. Au menu: CHOC CULTUREL!

On se retrouve chez sa cousine, qui vit dans une sorte de commune avec 30 personnes, 5 par chambre, qui partagent tout, la cuisine, la moto, le mobilier, etc... Une belle leçon d'organisation communautaire. Moi et Julie Tremblay, tranquilles assis sur une chaise, pendant qu'autour de nous des hommes pas très bavards déplacent des briques de ciment... On est un peu mal à l'aise, avec l'impression qu'en fin de compte, on ne connaît personne dans cet endroit!... les autres sont partis avec Magda chercher ses deux enfants et on se retrouve avec sa cousine, une femme dans la quarantaine bien affirmée, une cuisinière horriblement grosse et masculine, un/une androgyne muet(te), cinq chiens et un chaton.

Nous découvrons au fil de la conversation que la femme en face de nous est nulle autre que la présidente de l'association des travailleuses sexuelles de Piura, une communicatrice engagée dans la lutte contre le sida et la discrimination envers les prostituées, gais, lesbiennes et transsexuels. Elle nous montre les restes des décoration de la fête des Mères, accrochées au toit en tôle ondulée: des condoms à demi dégonflés. Elle en a des caisses entières, par paquets de 144 condoms, qu'elle distribue la nuit sur l'avenue Loreto, le red light piurano. Ses quatre filles ont appris toutes petites comment s'en servir, comme d'autres jouent avec leurs poupées... Elle me montre un paquet: gracieuseté du président Bush! Il était sûrement distrait le jour où il a autorisé ça...

Magda revient, avec sa petite fille et son fils, plus les deux Canadiens. Commence une ronde sociale un peu surprenante. Assis en rond, on boit de la bière avec un seul verre, en se le passant l'un à l'autre pendant que le souper cuit... Il faut éviter la merde de chien au sol et les flaques d'eau. Il faut oublier quelques instants l'hygiène, les bactéries et les puces. Il faut se souvenir de la simplicité et de l'intensité de ce moment, la petite porte ouverte au numéro 531 avenue Loreto, avec ses hòtels et ses commerces, qui nous montre l'espace d'un instant l'arrière de la façade, les prostituées, la pauvreté mais aussi l'espoir.

Je repense à Magda, à sa solitude et à ses enfants si curieux de tout, si remplis de questions naïves et belles sur le Canada et sur nous. Comment on se sent lorsqu'on a froid? Est-ce qu'on devient blond lorsqu'on habite au Canada? Vous voyez le genre. Des questions d'enfants qui demandent de l'écoute et de l'imagination bien davantage que des faits. Sommes-nous un espoir pour eux, ou un rêve? À moins que nous ne soyons nous aussi un petit passage, un peu branlant et pas toujours invitant, vers plus de vérité et de compréhension du monde dans lequel nous vivons.